Dans le monde daté de dimanche 1/11/2020, on trouvait en vis-à-vis une page de pub de l’UNESCO « Combien pour l’âme d’une nation ? », consacrée à la lutte contre le trafic illicite des œuvres d’art, et un article édifiant sur le « retour au virtuel pour les musées ».
Dans cet article, on découvre que le centre Pompidou prépare une plateforme en ligne sur Kandinski, en partenariat avec Google.
Il s’agit sans doute d’une énième initiative de Google Arts et Culture, qui pille allègrement certaines institutions sans que cela n’émeuve personne.
Moi si et voici pourquoi.
- Combien pour l’âme d’une nation ? Réponse du Centre Pompidou : 0 €. On pourra toujours objecter que Google fait accéder à plus de visibilité en ligne (selon quelles données de fréquentation au fait ?) et « offre » la technique nécessaire pour réaliser les images en très haute définition des œuvres ; le fait est que le musée cède des droits sur une collection publique pour 0 €.
- Or l’enjeu, ce sont les données et les droits. En particulier, où est-il permis qu’une institution accorde des usages exclusifs sur une collection publique à une entreprise privée sans que le contrat n’ait fait l’objet d’une quelconque communication ou, soyons fou, d’un appel d’offres ? Centre Pompidou, montrez le contrat passé avec Google !
- Montrez-le car il est bien possible que vous vous soyez fait avoir. En pratique, en effet, Google capte les œuvres en 3D, 4K, 8K, au choix, puis les met en ligne sur SA plateforme, régie par le droit des USA. A priori, car personne n’en sait rien, parfois même pas le musée en question, le musée a aussi le droit d’utiliser ces images à haute valeur (qui vont servir, entre autres, à tester des algorithmes de reconnaissance d’image et faire progresser la recherche de Google). Tout est dans le « aussi » : Google ne dépossède pas le musée de ses droits, il en acquiert simplement la co-propriété, gratuitement. En revanche, la diffusion se fait à son avantage exclusif : essayez donc de copier-coller une reproduction HD d’une œuvre sur Google Arts et Culture. Et de son côté le Musée est bien incapable de proposer ces images en ligne, vu qu’il est généralement à la ramasse totale sur son site web (on apprend d’ailleurs dans l’article du Monde que le centre Pompidou, refond son site Internet pourri – ce n’est pas le moi qui le dit c’est la journaliste, en des termes plus diplomatiques : comment se fait-il que personne ne se soit aperçu plus tôt de la calamiteuse expérience d’utilisation proposée sur cet outil clé ? -).
- Pourquoi des musées, prestigieux ou pas, se laissent-ils piller en ayant l’impression d’avoir fait un bon coup ? Je vois trois raisons. La première c’est que l’incompétence numérique à la tête de nos institutions culturelles est criante : pas de culture d’usage des technologies, pas de vision, pas de conseil. La deuxième c’est que certaines structures croient faire des économies en se livrant gratuitement à Google plutôt qu’en payant des prestataires quelques milliers d’euros (ce qui leur permettrait de rester propriétaires exclusives de leurs collections numérisées). La troisième, c’est que Google écrase tout et fait même bosser des entreprises françaises à son service pour organiser le pillage numérique.
Il est encore temps d’arrêter tout ça, par exemple en lisant mieux les contrats et en les renégociant. Les musées seraient fous de croire que l’accès à leur collection physique garantira toujours leur légitimité et leur existence.