Hybridez-vous

Il en est des mots comme des signaux. Certains sont forts, d’autres faibles, mais quel que soit leur éclat, leur répétition est, à coup sûr, annonciatrice de l’histoire qui vient. Au gré du flot d’articles, de tribunes et de chroniques qui s’écoulent en ce moment, quatre termes reviennent le plus souvent dans les filets : numérique, virtuel, médiation, hybridation. A peu prés dans cet ordre de fréquence. Les sites culturels rouvrent à peine, mais tout le monde comprend que le retour à la normale est une idée fanée. L’avenir, c’est à dire la capacité à perpétuer la mémoire, à donner accès à l’art et à l’histoire, à chercher à savoir, se dessine « en ligne ». D’où le numérique et le virtuel. Et tout le monde voit bien que ce monde « en ligne » n’aura rien de vivant si le contact humain et l’expérience des choses et des lieux, dans la vie réelle, en sont absents. D’où la médiation et l’hybridation.

S’il est inquiétant de penser que les capacités d’investissement nécessaires pour réussir cette fusion du réel et du virtuel, sont plus que faibles actuellement, il est rassurant de découvrir que les initiatives fleurissent déjà.

La preuve avec l’exposition virtuelle « Turner » montée par le Musée Jacquemart André : https://www.musee-jacquemart-andre.com/fr/decouvrez-visite-virtuelle-lexposition

Cette proposition dessine quelques pistes inspirantes et mérite, à mon avis, d’être saluée pour sa qualité d’ensemble et pour un parti pris en particulier : celui de proposer des commentaires audios sur les oeuvres présentées.

Quelques prophètes m’arrêteraient déjà en considérant qu’une enfilade de photos 360° agrémentées de cartels et de fichiers mp3 est un procédé on ne peut plus banal et basique. Et je répondrais que durant ce confinement il ne m’a été donné de voir que très peu de visites virtuelles, la plupart du temps décevantes, car dénuées de contenus de médiation dignes d’intérêt.

Les commentaires audios de l’exposition Turner ont ceci d’intéressant, à mon avis : tout en étant sérieux de ton et sérieux sur le fond, donc en phase avec le public dit « culturel » qui fréquentera ce musée, ils ne sont pas compassés. Il est donné d’entendre le conservateur mais aussi diverses personnalités compétentes, intéressantes, attendrissantes, s’exprimant d’une manière libre, à la limite de l’improvisation, érudite ou sensible, à portée de l’auditeur. Somme toute, on entend une personne, et pas juste une voix. Par ailleurs, détail que l’on croirait incontournable mais qui en pratique est étrangement rare, on peut afficher les oeuvres en plein écran avec une résolution acceptable.

Bien entendu, pour qui, comme moi, est impatient de voir se déployer des outils modernes exploitant les possibilités technologiques au mieux, il est triste de subir ces photos sphériques (un simple problème de focale, il suffisait de travailler en 50mm et de faire plus de photos) qui déforment la vision et ne permettent pas d’apprécier le travail d’accrochage. Il est triste aussi de ne pas bénéficier de photos des oeuvres de très bonne qualité (une question de droits sans doute, mais aussi d’antiques pratiques forcées par des gribouilles déconnectées et des illettrés du monde numérique, qu’il va s’agir d’envoyer paître au plus vite).

Les perfectionnements viendront plus tard. Dans l’immédiat, oui c’est une très bonne idée de s’adresser au public comme cela et oui c’est une expérience encourageante et rassurante !

Reste à savoir si les publics adhéreront tout autant que moi : combien verront cette expo virtuelle ? La verront-ils en entier ou très superficiellement ? Viendront-ils aussi la voir en vrai (ce que je ferai) ?

Je suis persuadé que le besoin et la demande sont là.

La preuve, avec cette statistique, dont beaucoup de médias se sont fait l’écho, des visites du site du Musée du Louvre durant le confinement : https://www.lapresse.ca/voyage/europe/france/202005/24/01-5274822-le-confinement-genere-plus-de-10-millions-de-visites-sur-le-site-du-louvre.php

Au delà du volume impressionnant, les deux enseignements intéressants sont à chercher du côté de la rubrique de médiation en ligne proposée par le musée, sous l’onglet Arts et éducation (https://www.louvre.fr/oal) et de l’animation des communautés sur les réseaux sociaux (par exemple sur le compte Instagram : https://www.instagram.com/museelouvre/).

Si l’on prend le temps de parcourir de manière approfondie l’ensemble des contenus proposés, et que l’on suit un tant soit peu l’activité du Musée sur les réseaux on constate deux choses : 1) Produire des vidéos de médiation, des audios, quelques infographies et des dossiers pédagogiques est accessible à n’importe quel musée ou site, à condition de se doter d’un vrai poste de médiation, un équivalent temps plein étant largement suffisant pour faire le boulot (si, si, affrontez tranquillement cette question et vous verrez que c’est faisable), 2) Les contenus priment sur la forme du site (Honnêtement, qui de sérieux pour considérer le site web du Louvre comme à la hauteur d’une marque mondiale ? Ah vous doutez : essayez donc de vous connecter avec votre mobile), donc pas besoin de chercher un alibi du côté de la refonte de votre site web pour vous mettre à produire de la médiation en ligne.

Il manque encore à tout cela, plus d’ambition, d’ampleur, d’originalité et l’hybridation (avec des visites d’exposition en live par exemple, ou des vidéo conférences in situ) est encore très balbutiante. Mais le public est ouvert aux propositions. Donc il faut y aller, enfin, pour apprendre et se perfectionner, plutôt que de perdre encore dix ans à croire à l’immuabilité des choses et des gens.

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